1999 - Le Croquant : sortie inaugurale en eaux maritimes

Dix huit juillet de l'An de Grâce mil neuf cent quatre vingt dix neuf. Embarquons à bord du Croquant pour sa sortie inaugurale en eaux maritimes. Appareillons à 10h30. Passons J5 à 11h. Franck (le second, bosco, gabier d'artimon et mousse) s'étonne et regrette "tout est trop parfait". Ma sagesse de Capitaine me pousse à répondre "ne t'inquiètes pas, les ennuis arriveront bien assez tôt".
Tirons quelques bords. Le vent contre nous oblige à louvoyer. J4 est passée. Deux navires merdoient lamentablement au milieu du chenal. L'un vire de bord par vent arrière, ce qui lui fait rebrousser chemin. Probablement un débutant. Nous le prenons de vitesse, le dépassons et nous arrêtons net : la dérive est plantée dans la vase. Nous compatissons à leur douleur et comprenons que nous étions encore plus débutant qu'eux. La dérive plantée est totalement coincée. Ce genre de gag ne m'étais jamais arrivé sur le Belem (navire ami sur lequel j'effectuais mes dix premiers jours de mer en tant que mousse). La marée descend. Si nous ne la débloquons pas rapidement, il va y avoir de la casse sérieuse. Après avoir forcé sur la chaîne, pesé à sur la dunette puis sur le gaillard d'avant, le bosco descend amarré à un bout pour alléger le navire et tenter de le faire basculer. La mer descend inexorablement, cela ne suffit pas. Comment la dérive se comportera t'elle à marée basse? C'est alors que me vient l'idée (géniale (et forcément géniale puisqu'elle vient du Capitaine)) de se servir de la balancine installée depuis la veille pour tirer le navire sur le flanc et le faire gîter. La manoeuvre est une réussite. Dans un élan de charité, j'embarque mon gabier au passage. Nous sortons de la vasière au moteur et après quelques singeries au pataras pour tenter de rattraper la balancine qui a filé en tête de mât, nous rétablissons la voilure oubliant la balancine à ses fantaisies. Avec le service qu'elle nous a rendu, elle aura bien mérité un peu de liberté.
Quelques encablures plus loin, mon gabier me fait remarquer (avec le plus grand respect) que nous sommes en train de perdre la balancine (qui a maintenant beaucoup plus l'allure d'une ligne de traine. Grâce à sa perspicacité, celle-ci sera sauvée. Pour cet acte de bravoure, il sera récompensé par une double ration de tafia lors de l'escale suivante.
Entrons dans le port d'Arcachon. Le moteur présente des signes de foîblesse. Nous trouvons Anne près du Framaline (autre navire ami sur lequel j'apprenais le métier de pêcheur).
Il est 14h. Pendant le repas, la météo change. Le Croquant est aujourd'hui doté de deux téléphones portables (Franck et Anne forment un couple moderne) qui nous permettent de constater que Météofrance a changé d'avis. Finalement, c'est orage et grêle avec vent de force 3-4 par rafales que nous propose cet organisme éclectique et dont l'utilité se résume à mentir aux touristes pour les rassurer afin d'éviter la désertification de la région. Seule la direction N-NW du vent n'a pas changé. Nous appareillons à 15h. Je fais le point dans le Teychant pendant que mon équipage se relaie à la timonerie. Après que Franck ai tenté de décapiter Anne par un coup de bôme, nous tentons de nous approcher d'un pylône pour l'identifier mais le navire s'arrête. Nous sommes à nouveau échoués, ... près de J0. Il est 16h. Jusant s'achève. Nous tentons de débloquer la dérive... mais la chaîne casse. Autant dire que l'on est dans quelque chose qui ressemble à de la vase organique. Nous nettoyons la coque pour faire passer le temps et prenons connaissance avec la dérive en la palpant du bout du pied. Vers 18h, nous repartons vent arrière jusqu'à J2 où nous touchons à nouveau. Mouillage. Après une rasade de tafia qu'Anne commence à apprécier, la renégate se mutine. Par la ruse elle réussit à enfermer le reste de l'équipage et son valeureux Capitaine à fond de cale. Incapable de prendre possession du navire, elle nous libère, prétextant qu'elle avait un besoin urgent et qu'elle ne voulait point être vue. L'équipage s'endort. Le Capitaine veille à ce que l'ennemi ne nous prenne pas à son bord, mais seuls des français croisèrent à l'horizon ce qui est surprenant pour la situation géographique. Vers 19h30, nous repartons et passons J4 puis mouillons une nouvelle fois. Nous avons alors l'idée d'utiliser ce qui était une balancine pour ceinturer la coque et relever la dérive. L'idée s'avère géniale (elle provient donc forcément du Capitaine). Nous observons les autres voiliers et adoptons la même route qui consiste à longer les piquets de J4 vers H5 puis à piquer plein sud vers J5. Mais près de H5 nous touchons à nouveau. Le bosco de sa propre initiative tente une manoeuvre d'ancre inexpliquée. L'ancre se coince sous la dérive. Après moulte essais de décoincement, l'ancre se met à chasser. Nous allons passer à l'abordage (involontairement) d'un autre navire. Pendant que je démarre le moteur et que le Second tente de remonter l'ancre, nous perdons un pare-battage. Nous nous extirpons finalement de l'affaire et entrons dans la Leyre. Le moteur faiblit. A la première balise rouge après J5, le moteur tombe en panne. La Leyre sera parcourue par vent arrière, au foc tangonné par le gabier et accessoirement à la pagaie. D'autres navires nous dépassent, certains nous proposent de nous prendre en remorque mais... que font ils de notre honneur de marins ? Ne risquent ils pas de nous demander l'application de la rémunération prévue par la loi du 7 juillet 1967 ou de signer une convention "no cure - no pay" ? Je suis fier de mon gabier, à chaque proposition, et sans même que je lui en ai donné l'ordre, nous nous empressons simultanément de répondre, en apparence très sûrs de nous "non, non, merci beaucoup, ça va aller !" Intérieurement, la situation est différente. Le vent nous accompagnera t'il jusqu'au port ? La situation est également différente pour Anne à qui notre courrage, notre bravoure et un peu notre amour propre sont en train de faire rater un rendez vous. Le moteur accepte finalement de redémarrer pour l'entrée dans le port. Les gazs sont coupés précisément pour une entrée et un arrêt impeccable à notre emplacement. Il est 22h.
Epilogue : le lendemain, des tranchées ont été creusées autour du parking provisoire où était garée la voiture. Il faudra une visite à la mairie et l'arrivée du tractopelle -qui tombera lui-même (involontairement) dans la tranchée- pour pouvoir sortir.
Prologue : l'événement du vendredi 16 aurait dû être interprété comme un mauvais présage pour ce week-end. Le Dr X (également marin et spéléologue de son état et portant le même prénom que moi), après m'avoir demandé à quel bras je préférais qu'il me fasse le vaccin contre la rage et m'avoir injecté la substance m'avoua qu'il avait oublié de dissoudre le vaccin dans le solvant. Je venais de recevoir une injection de solvant. Le bras gauche allait servir pour faire le vrai vaccin. Il faut dire, pour lui rendre justice, que nous ne nous étions pas vu depuis longtemps et -donc- que nous avions plus d'une aventure à nous raconter. Mélanger de la poudre dans un flacon passait donc au rang des futilités de second ordre.

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